Alexandre Pesle, le décalage en marque de fabrique ! Interview.

Le scénariste et comédien Alexandre Pesle joue jusqu’au 22/08 au Palais des glaces le rôle d’un pharmacien déjanté dans la pièce « Tous des malade ».  Il y est accompagné par la comédienne Marion Game, dans le rôle de sa belle-mère haute en couleur. Le comédien et scénariste apporte humour et dynamisme dans sa prestation convaincante. Les deux comparses d’M6 forment un duo pêchu ! Dans un mélange de naïveté et de folie, son personnage de pharmacien s’avère complétement en décalage, comme le sont souvent ses rôles au cinéma et à la télévision. En interview, l’« auteur déconneur » donne sa vision du métier avec fiel et humour. Transgressif et drôle, le comédien scénariste est-il naturellement naïf et décalé ? Dans tous les cas, le moins que l’on puisse dire est qu’il est profondément humain, « attachiant » même comme il l’avoue en souriant.

 

Alexandre Pesle, auriez-vous trois mots pour vous décrire ?

Aucun ! Bon, les premiers mots qui me viennent à l’esprit sont « écriture », « travail » et « laborieux ». Je me sens profondément « auteur déconneur ». J’ai eu la chance de tomber dans un métier qui me plaisait. Je me suis accroché pour pouvoir continuer. Je considère faire partie des privilégiés puisque j’ai la chance d’avoir un métier qui me passionne. Cela ne veut pas dire qu’on le fait bien tous les soirs, tous les jours ou tous les mois. Mais il n’empêche que lorsqu’ on est passionné par son travail, on se donne les moyens de le faire au mieux. C’est tellement agréable que travailler devient un plaisir. Une pièce de théâtre, c’est un chapiteau à lever tous les soirs. Le one-man-show que je pratique depuis dix ans, ce serait plutôt un « double chapiteau » ! J’ai la chance de vivre pour l’instant de mon métier. Je me mets dans les « starting-blocks » pour persister et le réaliser du mieux possible.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier ?

Finalement, c’est la nature humaine qui me plaît le plus : nos capacités, nos certitudes, nos peurs,  incertitudes et doutes. Je me sens comme un pilote automobile lorsqu’il court sur un circuit et qu’il « loupe une chicane » parce qu’il arrive soit trop tard, ou un peu trop rapidement. Il ne ré accélère pas assez-vite ou trop vite. Il y a des soirs où j’ai l’impression de « prendre magnifiquement bien la chicane », et le lendemain soir je me dis : « oh, pourtant la dernière fois je l’avais super bien prise ! ». Et on se plante. C’est comme les équipes de foot qui ont des passages à vide. Quand on fait du théâtre tous les soirs, la grande leçon au delà de l’humilité est que l’on peut tout le temps s’améliorer. Tout le temps ! C’est un puits sans fond. On passe par des pics de progression et il faut accepter aussi de régresser. Tout d’un coup on va peut-être s’apercevoir qu’on recule de deux pas, mais que l’on a tout de même avancé de cinq. La pièce de théâtre « Tous des malades, est avant tout un travail collectif. Nous sommes six comédiens, ce qui devient aujourd’hui extrêmement rare au théâtre. Nous avons beaucoup de chance. Quoi qu’il arrive, tous les soirs sont différents. Il y a des représentations magiques et d’autres plus difficiles. Il faut avoir le recul nécessaire pour l’accepter, l’empathie et la bienveillance de soi et des autres pour s’entraider et jouer au mieux ensemble.

Quel métier vous faisait rêver faire enfant ?

Ma famille n’a rien à voir avec le milieu artistique. Mon père a occupé toutes sortes de travail et ma mère était dans l’administratif chez Europe 1. Tout petit, je voulais être chauffeur de taxi, motard, cow-boy, ou pilote de formule 1 qui gagne à Monaco et qui ensuite devient champion du monde ! J’étais très axé sur les voitures et la mécanique. J’ai longtemps été timide. Je portais un appareil dentaire de onze à quatorze ans et cela n’a pas été très facile à l’école. A peu près tout ce que vous mangez se retrouve « dans la dentition de Joey Starr » (rires) ! Le jour où on me l’a enlevé, mes complexes se sont évanouis. Cela a été la libération totale, un peu comme pour ces mecs qui sont enfermés pendant trois ans par Daesh et enfin libérés ! A 13-14 ans, je ne pensais pas pouvoir être comédien et auteur plus tard. Je m’amusais au cours de théâtre de mon école. Je n’avais pas conscience de la possibilité d’en faire un vrai métier rémunéré. Je m’interdisais en quelque sorte ce métier-là. J’avais les mêmes questionnements pour le métier de scénariste. Un peu plus tard je me suis dit : « pourquoi pas, si c’est quelque chose que j’aime bien faire ? ». A l’âge de 15 ans, j’ai décidé d’arrêter de passer trois quarts d’heure pour m’habiller et d’être scénariste. A partir du moment où j’ai su ce que je voulais faire, j’étais « drivé ». J’ai surtout fait du théâtre avec le comédien Serge Hazanavicius (le frère du réalisateur Michel Hazanavicius). Nous avons eu l’occasion de jouer ensemble une pièce de théâtre, mise en scène par mon tout premier professeur de théâtre.

Comment êtes-vous entré concrètement dans le milieu ?

J’ai fait un IUT de communication et à côté je continuais de prendre des cours professionnels de théâtre et d’improvisation. Un jour, je me suis dit que j’avais juste envie de jouer. Il fallait que j’y aille et c’est ce que j’ai fait. Je me suis lancé dans des pièces de théâtres. Mon ami d’enfance Dominique Farrugia, m’a beaucoup encouragé. On habitait le même quartier. Notre rencontre tous jeunes fut un hasard complet ! Mon entrée dans le domaine artistique a été assez naturelle. Ma mère travaillant à Europe 1, elle a aidé Dominique à entrer à la station radio. D’Europe 1, Dominique est parti chez RTL où il a travaillé sur l’émission emblématique de l’époque : « Les routiers sont sympas » de Max Peynier. Puis une nouvelle chaîne TV s’est montée : Canal+. Les dirigeants de Canal+ ont fait venir Dominique pour sa débrouillardise légendaire. Ensuite, Dominique Farrugia m’a fait entrer à Canal+ à 24 ans comme scénariste sur les émissions « Les nuls » et « Nulle part ailleurs ». J’apparaissais de temps en temps à l’antenne comme comédien : j’alternais entre le métier de comédien et celui de scénariste.

Quel est le meilleur souvenir de vos débuts ?

J’ai aimé très tôt le travail qui permet le lâcher prise. C’est le Ying et le Yang. On ne peut être que détendu après avoir travaillé. C’était incroyable de répéter devant des chaises et des boites de coca vides, et tout d’un coup le public arrive et donne une respiration incroyable. J’ai toujours eu une peur maîtrisée. Il n’y a pas de grande joie sans grande peur. C’était nouveau pour moi, et je m’apercevais qu’on pouvait y arriver avec du travail. J’ai eu de la chance de commencer très jeune à canal+, entouré de personnes très talentueuses et passionnantes qui m’ont mis sur de bons rails. Il y a d’abord eu l’envie, puis les rencontres. « Les nuls » m’ont fait approcher aussi bien des stars extrêmement humbles que des vedettes très prétentieuses. « Les nuls », cela a été la meilleure façon d’entrer pour moi dans ce métier : commencer par un truc joyeux, sympa et pas prétentieux. On jouait avec l’absurde et parfois on se « foutait complètement de la gueule du monde ». Notre objectif était de « dénoncer la nullité ambiante  et se foutre de cette prétention là ». Dans 1000 ans on se « foutra encore de la gueule » des personnes que l’on nous impose !

Théâtre, TV, Cinéma…Y a-t-il un domaine où vous vous épanouissez le plus ?

Pas vraiment. Le théâtre est formidable puisqu’on est en communion avec les spectateurs. On est obligés d’y aller, sans filet ! Pour moi c’est aussi intéressant de faire un film, une série TV, que jouer une pièce de théâtre, un one-man-show, ou être scénariste. J’envie simplement les cachets mirobolants des personnes qui viennent du cinéma ! Mon métier est très difficile, dans une apparence simpliste. Il y a tout un travail que les gens ignorent et c’est tant mieux. Cela veut dire que l’on a bien bossé. A chaque fois, je m’adapte totalement au travail demandé. Pour moi lorsqu’on est comédien, il faut venir avec une proposition de jeu théâtral, sur le personnage. On nous demande de « faire rencontrer notre personnalité avec la caractérisation de notre personnage ». Quand on est scénariste, on raconte une histoire avec des points déclencheurs pour relancer le suspens. J’adore la comédie et je ne ferai sans doute jamais de tragédie. Mais il s’agit  à mon avis des mêmes ressorts. Ce sont deux métiers distincts avec des passerelles : deux ponts qui relient une même rive, mais qui ne sont pas construits du même métal ni du même bois.

La comédie correspond-elle mieux à votre personnalité ?

Je suis tombé dans la comédie par un hasard total ! Je pense franchement que les professionnels n’ont pas assez d’imagination pour me mettre en scène dans une comédie dramatique. C’est vrai que c’est plus simple de mettre une étiquette sur les gens. La mienne me va plutôt bien cependant. C’est génial lorsque des comédiens font leur « Tchao Pantin » comme Coluche ! Coluche est tombé sur le scénario. Claude Berry voulait l’emmener ailleurs, mais il a tenu bon. C’est très difficile de faire de la comédie et pourtant les comiques et les humoristes ne sont pas suffisamment considérés en France. On nous prend un peu pour des « guignol »s. Ce n’est pas grave. Mais en Europe et dans le milieu anglo-saxon, ces métiers artistiques sont véritablement valorisés. En France, j’ai l’impression qu’on est « soit un Picasso, soit un « pique-assiette » ». C’est la définition du géni français qui veut cela : comme si on pouvait tout révolutionner avec une pièce du théâtre ou un livre ! C’est à nous, les comédiens, d’inspirer autre chose et cela nécessite du temps. On m’a dit : « tu n’est pas lassé d’avoir cette étiquette de « Caméra Café » » ? Ma réponse est clairement négative ! Avant, je n’avais pas d’emploi et là j’ai eu un travail. A moi maintenant de créer un « contre-emploi ». Mon one-man-show est fait pour être drôle, avec une fin plutôt mélancolique. Je ne l’ai pas fait pour montrer toute la palette d’émotions que je sais interpréter. Dans la série TV d’M6, « Drôlement bon », je devais incarner un « looser » et je suis devenu « un bon père de famille ». C’était amusant, les gens s’étonnaient : « c’est incroyable, tu peux jouer un père de famille ! ». J’en ai beaucoup rigolé. J’étais crédible et c’était bien là le principal. J’aime faire des comédies, mais je rêve réellement d’incarner un « serial killer »…ou un sale con ! Peut-être que cela ne viendra jamais, mais je n’aurai à n’en vouloir qu’à moi-même. Par exemple, Benoit Poelvoorde est un « putain » de comédien, une personnalité extraordinaire. Il a joué autant dans des comédies que des tragédies. Sa sensibilité, il ne la doit à personne. Il y a juste des professionnels qui ont eu l’intelligence de l’emmener dans tel ou tel univers.

Comment est venu le projet de la pièce « Tous des malades » ?

Le producteur a très vite pensé à moi. Il souhaitait me faire jouer avec Marion Game. On a eu la chance les uns et les autres de se plaire, d’être à l’écoute et d’y aller. On a fait presque un an de tournée triomphale en Province. Je faisais des allers retours à Paris pour une autre pièce (« Conversations avec ma libido ») et mon one-man-show (« Conseils à des jeunes qui veulent rentrer dans le show-business»). J’ai été assez gâté cette année, avec pas mal d’adrénaline !

Vous retombez souvent dans des personnages naïfs et attachants, un peu dépassés par les évènements. Comment l’expliquez-vous ?

Ce sont des choses que j’ai naturellement en moi : je suis dans la lune. J’ai toujours aimé être en décalage. Entre Pierre Richard et Gérard Depardieu, je me suis toujours identifié à Pierre Richard : celui qui se prend la porte et les pieds dans le tapis. Un personnage attachant puisque pas en phase avec la société. Notre société est tellement formatée, que dès que quelqu’un arrive en décalage, par exemple les pieds nus, c’est attachant. Il se passe un truc. J’avoue avoir une naïveté profonde et ce biais là passe par le décalage, l’attachement, l’ « attachiant ». Les moules sont faits pour être cassés. Tous les carcans sont hyper agréables, une fois qu’on les a définis nous-mêmes. Cela rassure. Une fois que le moule est fait, je suis d’avis d’en faire un autre plus loin. Je n’ai pas envie de casser mon moule actuel, mais j’aimerais bien qu’il y en ait d’autres. Je souhaite enlever mon masque, « me retrouver à poil », prendre le risque de me dévoiler et avancer !

J’adorerais jouer un jour un mec qui pète les plombs, et dont tout l’entourage est fortement étonné. La faille et cette pulsion de mort chez les meurtriers m’intriguent beaucoup. En droit, la passion atténue les condamnations dans les cas de meurtres passionnels. La réalité est beaucoup plus opaque et mystérieuse. On a en France aujourd’hui une culture de l’histoire phénoménale. On a tous regardé beaucoup plus de films que nos parents ! Les français sont totalement formatés. Par exemple, le mec qui se suicide tout d’un coup dans l’avion qu’il pilote. Tout le monde se dit : « j’aurais pu être dans cette carlingue ! ». Et tout d’un coup, l’opinion publique se passionne pour un jeune homme qui avait l’air tout à fait normal et qui a fait quelque chose d’extrêmement violent.

Avez-vous d’autres projets dans le cinéma ou le théâtre ?

Oui, je suis en attente d’avancement. Peut-être que la pièce « tous des malades » sera prolongée à Paris ? Pour l’instant, je n’en sais rien. Sinon, dans ma vie de tous les jours j’ai toujours des projets d’écriture qui nourrissent mon métier de comédien, ma banque et mon caviste ! Lorsque je suis comédien, je donne tout le temps des idées sur les scénarios. Je propose et les autres disposent. L’objectif est de ramener des idées, des conneries, et pas forcément que pour moi !

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

Que cela continue jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le plus tard possible !

Photo : DR

Cet article a été publié pour la première fois le 4 août 2015 dans le webzine LaCritiquerie.

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