“Ode à Médine” de Sabine Revillet au Théâtre Darius Milhaud : interview.

Spectacle poétique, créé à partir d’un fait divers en Turquie en 2010, afin qu’on se souvienne de la jeune fille enterrée vivante, Médine. La mère, Magda, s’amuse pour ne pas pleurer, et ne pas se faire transpercer par l’horreur insoutenable. Critique et Interview de l’autrice Sabine Revillet.

"Ode à Medine" a ete jouee au Theatre Darius Milhaud

“Ode à Médine” a été jouée au Théâtre Darius Milhaud (photo : DR)

La poésie et l’absurde au service de la condition féminine

Le seul en scène explore les recoins de la personnalité de la mère de Médine, incarnée par Maité Cotton. Le texte de Sabine Revillet interpelle efficacement sur la condition de la femme. Le texte soutenu par le CMT, a tout d’abord été mis en scène à Avignon en 2014. La comédienne Maité Cotton n’est pas seulement la voix de la mère. A travers elle, on entend des bribes du père violent et de la jeune Médine. “Maman, n’éteins pas la lumière. Maman, laisse la lumière allumée.” supplie Médine à sa mère Magda, lors du coucher. Dans sa robe en satin, ses cheveux longs en cascade, Maité Cotton raconte de sa voix rauque l’addiction de la mère aux plantes. “Si mon mari savait ce que j’ai dans la tête !” s’exclame-t-elle. De ses mains, elle touche la terre, celle de ses plaintes adorées et celle qui recouvre sa fille. Ce moment suspendu, évanescent, est un cri d’une femme pour une autre femme. Le rire n’est qu’une plainte, les idées fixes une fuite pour rejeter le destin tragique de Médine. Hypnotisés par la comédienne, on comprend peu à peu l’horreur. L’absurde et les non-dits permettent au cri de la mère de Médine, de traverser sa peur indicible. “Médine, entre dans la terre”. Les spectateurs comprennent la fin tragique et rendent hommage à Médine, avec respect et en silence. Que vaut la vie d’une femme en Turquie et en France au XXIème siècle ? “Non, nous n’avons pas de fille.” se persuadent les parents. Médine a-t-elle véritablement vécu au sein de leur foyer ?

Pourquoi ce parti pris de se focaliser sur la personnalité de la mère ?

Je désirais aborder cette histoire par le prisme de la mère car cela m’intéressait de creuser de ce côté-là, sortir de ce cadre victime/bourreau. Pour moi, c’est un mystère absolu : fermer les yeux sur une maltraitance, un crime, c’est dans ce coin-là que j’ai eu envie donc de gratter, d’essayer de comprendre. Magda apparaît comme une poule sans tête, elle se situe en dehors de l’évènement car on lui a enlevé toute possibilité de discernement. Dans ce monde là, les femmes n’ont pas la parole, la seule liberté qu’elle a c’est le rêve. Là, elle s’enfonce tellement dans le rêve qu’elle se dissipe, disparaît.

La fascination de Magda pour les plantes est-elle une manière de montrer sa fuite intellectuelle face à son mari violent et sa fille victime ? La vie avec les plantes lui est plus facile que d’ouvrir les yeux et réagir ?

Oui c’est une fuite, une survie, le choix qu’elle a fait pour se sauver de son emprisonnement. Magda ne peut donc pas protéger sa fille car elle-même a fermé les yeux sur sa réalité de femme il y a bien longtemps. Sa fille elle-même lui dit qu’elle s’est enfermée dans une tour d’ivoire dont elle a perdu la clef.

L’absurdité est-il un ressort pour démontrer l’horreur avec respect pour Médine ?

Je n’ai pas l’habitude d’être dans le frontal. J’ai besoin de réinventer à ma manière l’histoire, cette histoire qui est très loin de moi. Je ne pouvais plonger dans cette horreur qu’en faisant un pas de côté, regarder un autre visage de cette histoire, un autre angle, une façon aussi, de supporter cet innommable là. J’avais envie de montrer un autre monstre, le monstre silencieux qui ne commet pas le crime mais en est le témoin. Ce témoin est tout aussi criminel, il se réfugie dans une “poésie stérile” mais n’est plus du côté du vivant.

 

Informations pratiques : “Ode à Médine” s’est joué jusqu’au 02/05 au Théâtre Darius, 80 allée Darius Milhaud, dans le dix-neuvième arrondissement de Paris. Le spectacle sera de retour à la rentrée.

Cet article a été publié le 08/05/2016 dans le webzine LaCritiquerie.

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