Eurialle Livaudais, comédienne de la pièce « Ariane». Interview.
Posté par Aurélie Brunet
Dans la pièce « Ariane », c’est la première fois que la toute jeune comédienne Erialle Livaudais offre un « seul en scène ». La mise en scène originale de Guillaume Gras, place la charmante jeune femme, habillée d’une nuisette rouge carmen, dans une baignoire vide d’eau. Jouée à La Folie Théâtre à Paris pendant trois mois, la pièce est un long monologue, où l’on suit l’évolution féminine et amoureuse du personnage principal du roman emblématique « Belle du seigneur » d’Albert Cohen. L’histoire est celle d’Ariane, une jeune femme fantasque et originale, qui partage sans pudeur ni honte, ses fantasmes et ses rêves d’Amour. Nous tombons sous le charme de cette ode magique aux femmes et à leurs contradictions. Interview.
Comment vous décriveriez vous en quelques mots ?
Je suis une jeune femme de vingt-quatre ans, marrante, très maladroite, passionnée, et courageuse.
Parlez-moi d’une ou plusieurs femmes qui vous inspirent ?
Je n’ai pas vraiment de modèle. J’ai beaucoup de respect pour ma mère, qui m’a beaucoup soutenue dans mon projet de comédienne. Elle m’a beaucoup apportée en tant que personne et comédienne. Si l’on parle d’un personnage, « Ariane » m’a énormément inspirée. Elle a beaucoup influencée ma maturité de femme adulte. Jouer le personnage d’ « Ariane » m’a aussi donnée beaucoup de force.
Que signifie pour vous, « être une femme aujourd’hui en France ? »
Pour moi, en tant que femme, je trouve que c’est une grande chance d’être en France. On ne s’en rend pas forcément compte, mais je crois vraiment qu’il faut mieux être une femme en France que dans beaucoup d’autres pays dans le monde. On dit beaucoup de choses en ce moment sur l’égalité femmes-hommes. On croit souvent à tort que certains droits des femmes sont acquis depuis longtemps. Oui, je pense que nous avons une grande chance de vivre en France. Après, naître femme, c’est difficile partout dans le monde. C’est plus compliqué que de naître homme, puisque nous sommes dans un monde d’hommes.
Avez-vous déjà été confrontée au sexisme ?
Avec tous les petits boulots que j’ai faits, et mes rôles de comédiennes, j’ai bien eu ma petite dose de sexisme. C’était le plus souvent des remarques sur mon physique, parfois assez immondes. Un simple « Ma Chérie » m’horripile. Une femme ne dira jamais « Mon Chéri » à un jeune homme qui lui plaît ! En général, je réponds assez violement, de manière physique. Ça m’énerve de devoir avoir cette réaction. J’ai du mal avec les rapports de séduction dans des contextes inappropriés comme le travail, les transports en commun.
Comment avez-vous débuté dans le théâtre ?
Je faisais des ateliers théâtre au lycée. J’étais très mauvaise en mathématique. J’ai choisit assez logiquement la filière littéraire. Mon amie Lucile, un peu plus âgée que moi, avait fait l’école de théâtre Jean Perimony. Je me suis renseignée, et j’ai abandonné mon idée première de faire khâgnes, hypokâgnes. Même si tu emmagasines un savoir important et passionnant, cela aurait peut-être été trop intense et théorique pour moi. Après mon bac littéraire à dix-sept ans, je suis donc rentrée pour 3 ans à l’école de théâtre Jean Perimony. J’ai été diplômée en 2011.
Quand avez-vous créé la compagnie Samson ?
Une fois diplômée en 2011, soutenus par notre professeur de tragédie Arlette Téphany, nous avons créé la compagnie Samson avec des camarades de promotion. La compagnie Samson est composée de Guillaume Gras (mon metteur en scène sur « Ariane »), Jean Bechetoille, Flore Friedman et moi-même. On a monté des pièces de théâtre telles que « L’Importance d’Être Constant » de Oscar Wilde, et « Ariane » dans lesquels j’ai joué. Il y a eu aussi d’autres créations théâtrales telles « Les bottes en or », « Il sonna chez la vieille », et « Aphrodite/Persée se racontent au son des tambours ».
Quelle est la pièce qui vous a le plus marquée à vos débuts ?
J’ai joué dans beaucoup de pièces, mais celle qui m’a le plus marquée avant « Ariane » est « L’importance d’être constant » d’Oscar Wilde, mise en scène en 2013 par Erick Desmarestz au théâtre de Belleville. J’avais le rôle de « Gwendolen », avec sept autres comédiens. On a joué neufs dates, cela a été très intensif. Le succès a été au rendez-vous, et on s’est fait un peu connaître. C’est la pièce qui m’a le plus boostée avant « Ariane ».
Que signifie pour vous être une femme aujourd’hui dans le théâtre en France ?
En tant que femme, toute comédienne de télévision/théâtre/cinéma sera un jour confrontée à son âge, et à son physique. A ce niveau-là et surtout dans ce métier, je pense qu’il y a beaucoup plus de pression sur les femmes que sur les hommes. Un homme qui vieillit trouvera toujours des rôles. En témoigne le récent succès de l’acteur Vincent Lindon, avec son prix d’interprétation masculine du festival de Cannes pour « La loi du marché », où sa beauté brute et naturelle en devient charismatique. Maintenant, il y a de plus en plus de femmes qui percent, sans être les plus belles,. Je vois souvent des interviews où les actrices se prennent des réflexions sur leur âge. Je suis très choquée de ce qui est arrivé à l’actrice de 37 ans Maggie Gyllenhaal, elle s’est récemment vue refuser le rôle de petite amie d’un acteur de 55 ans !
Pourquoi avoir choisi d’adapter le livre « Belle du seigneur » d’Albert Cohen ?
En deuxième année de l’école de théâtre Jean Perimony, j ’ai lu à vingt ans « Belle du seigneur ». Cela a été un bouleversement total. J’ai présenté un extrait de trois minutes à l’école. Quand on a été diplômés, Guillaume voulait me mettre en scène. Il se souvenait de ma prestation, et il a tout de suite pensé à me faire travailler les monologues de « Belle du seigneur ».
Depuis combien de temps êtes-vous sur ce projet ?
Cela fait un an et demi que l’on travaille sur « Ariane », en comptant le temps de créer le spectacle, faire l’adaptation du livre, trouver les théâtres. Avec Guillaume, nous avons lu et relu « Belle du Seigneur », sélectionné quelques monologues. On a du beaucoup couper pour respecter le temps d’une représentation (une heure quinze minutes). Cela a été un travail passionnant. Guillaume s’est occupé de la mise en scène, nous avons eu ensemble l’idée de la baignoire.
Qu’est-ce qui vous a le plus touchée dans le livre « Belle du seigneur » d’Albert Cohen ?
Dans le livre, le personnage est très intense, extraordinaire, fantasque. Ariane s’invente des petits animaux, elle a tout un bestiaire chez elle : des petites vaches en bois, des X. Quand elle est dans sa chambre, elle ferme ses épais rideaux pour qu’il fasse bien noir, et alors elle se déguise. Elle s’amuse follement. C’est une grande aristocrate, mariée à un petit bourgeois qu’elle méprise totalement. Elle n’a pas d’amis, elle est complètement seule. Elle s’invente totalement des vies. A un moment, elle imagine même qu’elle est un papillon. C’est fou !
Où avez-vous joué « Ariane » ?
« Ariane » a d’abord été jouée pour trois dates en mai 2014 au Théâtre de la Joncquière à Paris. Après, tout est allé très vite. Nous avons envoyé notre dossier un peu partout, et plusieurs théâtres se sont montrés intéressés, dont La Folie Théâtre. Nous avons alors passé une audition d’un quart d’heure à La Folie Théâtre, qui s’est révélée positive. J’ai donc joué « Ariane » de mars à mai 2015 à La Folie Théâtre.
Le parti pris du metteur en scène de démarrer la pièce sans introduction, n’était-il pas un peu dangereux ?
Guillaume Gras a décidé que la pièce commence directement. Certains spectateurs m’ont dit qu’au démarrage ils n’avaient pas tout compris, et puis très vite ils se sont laissés entraînés par l’histoire. C’est comme une locomotive que l’on prend en marche. Tu sautes dedans. Au départ tu es sous le choc, et après finalement « ça roule ». C’est ce qu’on a voulu faire, puisque le livre est écrit sans ponctuations. Ce sont des pages et des pages de monologues, et de dialogues avec sa gouvernante, son mari, son amant Solal. On n’a pas souhaité m’installer tranquillement au départ, ni cherché à mettre les spectateurs à l’aise. Ariane se lance directement dans ses monologues loufoques et drôles. Elle est toute seule dans son bain, alors il faut que cela aille vite !
Que pensez-vous du personnage atypique d’ « Ariane » ?
Je suis d’avis qu’ « Ariane » est vraiment incroyable, drôle, formidable ! Je ne sais pas si c’est bien d’aimer son personnage, mais véritablement je l’aime. Généralement, tu ne comprends pas forcément ton personnage. Mais cela fait tellement longtemps que je tiens ce rôle, que je ne peux rien dire de plus que je l’aime. Je la trouve très drôle. Après, c’est aussi le texte d’Albert Cohen qui est inventif, dense, doté d’un vocabulaire extraordinaire. Je ne sais pas si c’est « Ariane » ou le texte d’Albert Cohen qui me touche tant.
Qu’est-ce qui vous a poussés à choisir ces trois monologues de « Belle du Seigneur » ?
Ce personnage est complètement fantasque. Dans les monologues que nous avons choisis avec Guillaume, elle a toujours le même âge. Elle rencontre un homme, Solal, dont elle tombe amoureuse. Elle a toujours eu une féminité assumée. Dans notre adaptation, C’est la sensualité, le sexe qu’Ariane découvre et apprend à aimer. Auparavant elle en avait honte. Son amant Solal l’a fait évoluée. Elle laisse naître sa sensualité, et un certain rapport passionnel au corps de l’homme.
Comment avez-vous travaillé votre jeu d’actrice, féminin et gracieux ?
Tous les gestes, toutes les postures que je prends dans ma baignoire vide d’eau, sont venus naturellement. Pour l’anecdote, une expérience très sympathique fut la revue de La Folie Théâtre, où nous avons tous présenté nos spectacles pendant 15 minutes aux autres comédiens et techniciens du théâtre. J’étais la seule en petite tenue, dans mon bain. Une des comédiennes a cru que j’étais danseuse, alors que je suis extrêmement maladroite dans la vie !
Commet avez-vous vécu l’aventure d’ « Ariane » ?
Réaliser l’adaptation, jouer ce rôle puissant, rentrer tous les vendredis et samedis soirs toute seule dans cette baignoire…Il faut vraiment avoir une force intérieure, se dire « Allez, maintenant tu y vas ! ». Dans les coulisses, alors que les spectateurs s’installent, je « crève » littéralement de peur. Après, les lumières s’éteignent et je me mets en place. Une fois que je suis dans la baignoire, il y a un truc ultra puissant qui se passe : « ça y est, c’est parti ». Je suis très nerveuse. J’ai un trac monstre, même au bout de 3 mois ! Les premières dates, après les représentations j’étais « rincée », épuisée. C’est comme un entraînement sportif. Jouer toute seule pendant une heure, c’est difficile. On ne peut pas lâcher un tel rôle, aussi puissant. Tous les jours, je relis et travaille mon texte. Il m’a fallu beaucoup travailler pour avoir le déclic. Maintenant, heureusement ça va mieux. J’ai tellement joué ce rôle ! Maintenant, après la représentation je suis un peu fatiguée, mais je peux tout de même sortir avec des amis, discuter.
Dans quel état d’esprit êtes-vous, à quelques jours du final d’ « Ariane » ?
Je suis très triste à l’idée de mon final samedi prochain. Cela fait tellement longtemps que je tiens ce rôle ! Je suis très heureuse d’avoir joué « Ariane » à La Folie Théâtre. C’est un très bel écrin. Je considère que j’ai eu une chance formidable de jouer ce rôle. Je suis consciente qu’il est possible que dans ma carrière, je ne rencontre pas un rôle aussi puissant qui me parle autant. J’ai une envie très forte de continuer dans le théâtre. Jouer avec des partenaires me manque !
Que feriez-vous si vous étiez ministre de la Culture ?
Je pense que je faciliterais l’accès à la culture, au théâtre, au cinéma, à la musique. Le prix des pièces de théâtre est très élevé, ce qui est forcément rébarbatif, surtout pour les jeunes. Si j’étais ministre de la culture, je mettrais en place des partenariats entre les écoles/universités et les théâtres, pour que les jeunes puissent découvrir les textes classiques, comme des pièces plus contemporaines. Et je ferais baisser les prix des places de théâtre pour tout type de public. Moi même, j’aimerais tant aller voir beaucoup plus de pièces dans les théâtres parisiens. Je n’ai pas encore le statut d’intermittente du spectacle, ce qui me donnerait le droit à un tarif réduit. Je ne peux pas aller au théâtre comme je le souhaite. C’est un grand manque, pour moi qui suis passionnée !
Que diriez-vous à un jeune qui débute dans le théâtre ?
Je lui dirais qu’il faut tout d’abord avoir un grand courage, car souvent les comédiens débutants sont obligés de prendre un petit boulot pour financer leur vie. Il est aussi nécessaire d’avoir « la foi », de se dire naturellement : « j’ai quelque chose à apporter ». Je crois qu’il faut se sentir un peu unique, pour se lancer dans le théâtre !
Cet article a été diffusé pour la première fois le 9 juin 2015 dans le webzine LaCritiquerie.